Cayar, la nouvelle destination des « accapareurs »
En toute violation de la loi et du Code forestier, le domaine public maritime et la bande des filaos de Cayar sont occupés par des promoteurs immobiliers. Au-delà des méfaits environnementaux, ces occupations renseignent sur le laxisme des autorités à plusieurs échelles de la gouvernance des ressources foncières.
Tels des champignons, des immeubles poussent entre les arbres. En filigrane, ces blocs de pierre peuvent être observés sur toute la bande des filaos de Cayar. Les propriétaires, souvent fantômes, agissent en vrais dealers fonciers. «Des gens viennent couper clandestinement la bande des filaos. Et les maçons viennent plus tard occuper le chantier», confie Abdoulaye Dia. Ce dernier est le vice-coordonnateur du Collectif « Samm Sunu Momel », une association locale pour la protection de l’environnement et du cadre de vie. Essentiellement composés de jeunes, ils ont décidé de s’attaquer à tous ceux qui bradent le foncier de la localité et particulièrement ceux qui coupent les filaos pour construire dans cette zone classée.
Le colonel Abdourahmane Samoura, ingénieur des Eaux et Forêts à la retraite et membre du Conseil départemental de Thiès estime que ces empiètements sont dus à l’urbanisation incontrôlée. Et selon lui, ceci risque à terme d’annihiler les efforts effectués jusque-là pour immobiliser les dunes vives notamment les dunes blanches qui avançaient vers le continent et qui ensevelissaient au fur et à mesure les cuvettes maraîchères. Dans la commune de Cayar, il ne reste pratiquement plus que 100 hectares de bande de filaos et le tiers est agressé, se désole M. Samoura.
Le 23 septembre 2020, de jeunes individus engagés dans la protection du foncier nous font constater de visu les constructions anarchiques dans ce poumon vert. «Vous voyez ce bâtiment là-bas, un ancien commandant des Eaux et Forêts de Thiès, un certain M. Thioune, avait fait arrêter les travaux. A l’époque, il avait indexé la responsabilité de la municipalité qui délivre les autorisations de construire. Il est décédé entre-temps et le propriétaire a repris les travaux», dit Abdoulaye Dia. A en croire le vice coordonnateur du collectif Samm Sunu Momel, la mairie encaisse les frais de bornage et fait des délibérations sans l’autorisation du Conseil municipal et la validation du sous-préfet. Il indique que le foncier a changé la situation financière de la plupart des maires et autres membres du Conseil municipal.
Mais l’actuel élu de cette petite localité côtière, située à environ 58 Km au nord de Dakar, sur la grande côte nie toute implication dans des transactions immobilières douteuses au niveau de la zone. Joint au téléphone, Aliou dit Gass Ndoye avoue dans un premier temps que la bande des filaos est très convoitée par les promoteurs immobiliers. Pour autant, il se lave les mains de toute spéculation foncière. Et sur la coupe des filaos, ‘‘antérieure à l’érection d’immeubles’’, il dégage toute responsabilité et indexe les services des Eaux et Forêts. «Ce sont ces derniers qui ne font pas leur travail correctement », se désole-t-il. Avant de renseigner que les gens qui construisent dans cette zone viennent souvent d’ailleurs et à chaque fois la commission domaniale de la mairie refuse de leur donner une autorisation de construire. Pourtant, certaines populations locales accusent le maire de légitimer ces installations dans la bande de filaos en laissant les dealers fonciers s’accaparer de certains espaces pour venir ensuite encaisser des frais de bornage. Mais le maire n’a voulu accorder aucun crédit à ces allégations.
Tout compte fait, le colonel des Eaux et Forêts à la retraite Abdourahmane Samoura estime que ce sont des «vandales» qui sont à l’origine de ces empiétements. En dehors de ces personnes, ajoute-t-il, il y a les promoteurs immobiliers qui, par souci financier, empiètent et agressent ces plantations. Non sans dire que normalement ce sont les services des eaux et forêts qui sont chargés de contrôler l’espace. «La bande des filaos c’est une forêt classée, un domaine privé de l’Etat qui est sous la responsabilité du service des Eaux et Forêts notamment le chef de brigade qui est basée soit à Bayakh ou à Cayar. La commune doit aussi y veiller. Mais le principal responsable, c’est le service des Eaux et Forêts ». Poursuivant, il indique que rien ne justifie que des gens viennent construire ces espaces.
«Ndioukhob Guedj», hommes d’affaires et marabout au banc des accusés

A Cayar, ce n’est pas que la bande des filaos qui est agressée pour des besoins immobiliers. Les belles plages de cette zone côtière sont très prisées. Dans le village de «Ndioukhob Guedj», toujours à Cayar, les promoteurs veulent s’approprier la côte faisant fi de l’article 13 du Code du Domaine de l’État qui dispose que les autorisations d’occuper le domaine public naturel ou artificiel sont accordées à titre personnel, précaire et révocable.
Mais sans lever le moindre soupçon, certains avaient fini de construire leur bâtisse et d’autres avaient commencé à faire des élévations des murs. «Aussi bien l’hôtel déjà construit sur les lieux que la petite élévation à côté appartiennent au Directeur de la menuiserie Khadimou Rassoul, Cheikh Guèye. Toujours sur le même alignement, il y a un mur de 2000 mètres carrés construit par Mame Malick Sy, un marabout de Tivaouane.
« Ces constructions n’ont pas respecté la réglementation, autant le terrain du marabout que l’hôtel de Cheikh Gueye. Ces espaces leur ont été alloués par l’ancien Maire de Cayar feu Masseck Guèye », confie Pape Mousse Diop, membre du Conseil départemental de Thiès et président de la Commission du domaine public maritime. Selon lui, le Conseil départemental de Thiès, informé de la situation avait demandé à ce qu’ils arrêtent les constructions.
Jusque-là, dit-il, le Conseil départemental n’a jamais attribué un seul mètre carré à quelqu’un dans cette zone. «Et pour éviter qu’il y ait une anarchie dans l’espace on a fait arrêter tous les travaux. On était même entré en conflit avec Cheikh Guèye. Heureusement on a gagné le procès. Nous n’avons pas trouvé légal de donner deux mille mètres carrés et un hectare au cœur du domaine maritime. C’est inacceptable. C’est pourquoi, nous avons refusé de valider l’hôtel de Cheikh Guèye », a indiqué Monsieur Diop membre du conseil départemental de Thiès qui est territorialement habilité en ce qui concerne le domaine public maritime de Cayar.
Aujourd’hui, l’hôtel gît sur ce grand espace tel un château banni. Pour convaincre les populations et les faire adhérer dans son projet, le promoteur avait construit une route goudronnée traversant tout le village et une mosquée. Il avait également posé une route en latérite de l’entrée de la bande des filaos jusqu’à la plage. Le village de Ndioukhob Guedj se trouvait d’ailleurs au niveau de l’emplacement de l’hôtel avant d’être déplacé dans les années 1970 pour la plantation de la bande des filaos, renseigne Mamadou Ba, un des fils de la localité. Aujourd’hui, ce village peulh est non loti et les habitants n’ont aucun titre. Pourtant des immeubles de haut standing commencent à y pousser. Du fait de son environnement et de son climat agréable, Ndioukhob Guedj est très prisé et des gens viennent d’ailleurs pour acheter des parcelles et y construire de belles maisons.
Quid des élus locaux ?
Mais d’où viennent leurs titres et leurs autorisations de construire ? Mamadou Ba estime qu’il est difficile de détenir légalement un titre. A moins d’avoir des titres factices, précise-t-il.
Les populations locales ont commencé à vendre clandestinement certaines parcelles sans titre. Les terrains sont vendus entre 500 0000 et 3 millions F CFA. «Quand la personne achète, on lui donne juste un acte de vente. Mais, elle peinera toujours à avoir des titres solides. Et aujourd’hui les gens vont chercher frauduleusement des délibérations après s’être déjà établi », renseigne Mamadou Ba, fils de la localité. Et ce sont des délibérations faites en catimini sans autorisation du conseil municipal et la validation du sous-préfet. D’ailleurs des vidéos circulent dans lesquelles on voit des collaborateurs du maire présenter les délibérations à des clients.
Mais Monsieur le maire Aliou Gass Ndoye nie catégoriquement en soutenant que ce n’est pas possible de faire des délibérations sans aviser le Conseil municipal. Aussi, le maire est-il accusé d’abuser des alignements jugés illégaux. Une question qui a suscité colère et nervosité chez l’élu local. «Les gens parlent pour parler. Je ne réponds pas à ces interpellations. On m’a confié une mission qui est de travailler pour faire émerger Cayar. Et je suis dans cette voie », soutient-il.
Toujours est-il qu’il est accusé d’encaisser des frais de bornage et d’autorisations de construire sans reverser au niveau du trésor. «Cet argent est détourné au profit de la mairie. La mairie fait des alignements et non un lotissement et les gens construisent n’importe comment. Les maisons ne sont pas numérotées ni enregistrées au niveau du Cadastre, et cela favorise les litiges fonciers parce que n’ayant pas de papiers. Et souvent les gens sont convoqués à la gendarmerie de Cayar. Le foncier de Ndioukhob Guedj est vendu par les membres de la municipalité et les populations dans la plus grande discrétion », accuse le vice-coordonnateur du collectif Saytou Sunu Momel.
Abdoulaye Dia d’informer qu’à Cayar, il y a un paradoxe dans la mesure où malgré tous ces nouvelles habitations, il n’y a eu que deux lotissements légaux dans la localité : Cayar Extension 1 sur une surface de 45 hectares et un autre lotissement effectué en 1986 là où on appelle «point rond» par le sous-préfet de l’époque Birame Owens Ndiaye. «Sinon, tout le reste ; ce sont des alignements», fait-il savoir.
Le collectif a d’ailleurs saisi un huissier pour constater toutes ces «irrégularités » afin de porter l’affaire devant la Justice. Ainsi, le maire, les promoteurs immobiliers et autres propriétaires de bâtiments litigieux ont reçu des sommations afin de donner des explications sur les empiètements effectués dans la bande des filaos mais aussi sommer le responsable des Eaux et Forêts et le maire pour avoir permis à des gens d’habiter dans la bande des filaos. Au total, dit-il, 34 sommations ont été délivrées. «Je vous promets que dans les prochains jours vous entendrez parler de Cayar en Justice. La DSCOS viendra démolir toutes les constructions et autres maisons irrégulières», espère-t-il. Même les lieux mystiques ne sont pas épargnés à Cayar. «Tounde Yalla Maner», une dune où sont effectués des sacrifices et autres prières sacrées est assiégée dans ses environs où les gens viennent s’installer illégalement. «La loi interdit les alignements. Seule la voie judiciaire pourrait régler la situation », laisse entendre Abdoulaye Dia. A moins que les esprits protecteurs de Cayar ne prennent eux-mêmes les choses en main !
Vente de terrains sans titre, le modus operandi des promoteurs immobiliers

La Fédération des agropasteurs de Diender (FAPD) aide beaucoup les populations locales de Cayar à maîtriser les enjeux fonciers. Mieux, elle est engagée dans la lutte contre la délinquance foncière. Trouvés dans leur siège à Bayakh, les membres de la FAPD parlent du modus operandi des promoteurs immobiliers.
«Ils viennent collaborer avec les habitants en les convaincant de vendre leurs terres. Ils attendent la période de soudure où les gens sont pauvres et vulnérables pour inciter les gens à vendre céder leurs parcelles », laisse entendre le chargé de projet foncier de la FAPD, Mor Ndoye. Ainsi, dit-il, les courtiers envahissent les villages en faisant croire aux gens qu’ils n’ont pas de titres et que tôt ou tard ils perdront leurs terres.
«Une fois que les villageois sont convaincus, ils passent leur deal avec un mode de paiement qui ne va aucunement arranger le producteur », déclare M. Ndoye. Selon lui, il y a de grands gros bonnets derrière ces constructions sur la plage de Ndioukhob Guedj. Mais, il y a d’autres bâtiments dont les propriétaires ne sont pas encore connus et même des entreprises de pêche qui ont construit là-bas.
Or, précise-t-il, il n’est permis que des installations précaires dans le domaine public maritime et qu’elles ne peuvent être privatisées. «La gestion de ce domaine est transversale. Il y a les ministères de l’Environnement, des Finances, de l’Urbanisme, des Mines qui entrent en jeu. Mais ils ne sont pas très exigeants et laissent faire beaucoup de choses. Il y a tellement de litiges que les autorités ne délivrent plus de baux dans cette zone.
Elle est en train d’être dénaturée socio économiquement », soutient en définitive Mor Ndoye
PAPE MOUSSE DIOP
PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DU DOMAINE PUBLIC MARITIME DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE THIÈS
«Il faudrait élaborer un plan directeur du domaine public maritime qui permettra à terme de faire des lotissements»
«Il faudrait une large concertation avec les services techniques de l’Etat qui mettront à la disposition des autorités départementales des normes techniques avec un plan défini qui permettra à partir de ce moment de faire des lotissements. Ce plan directeur du domaine public maritime doit veiller au respect des normes techniques entre la mer et les parcelles qui doivent être distant de 100 mètres. C’est à partir de là que les services techniques de l’Etat vont dresser un plan et donner le lotissement. La zone de Cayar est stratégique. Dans cette grande côte, il y a le pétrole et le gaz. C’est tellement prisé qu’il faudrait un plan d’aménagement solide, clair et adossé à un plan de développement local tenant en compte des normes urbanistiques. En ce qui concerne le domaine public maritime, au-delà des filaos, ce n’est pas notre domaine. Les alignements ne sont pas permis. Ils ne sont permis que dans les villes et des villages pour limiter la destruction et le dédommagement. Mais, dans les espaces vides il faut procéder à des lotissements et aux normes techniques et urbanistiques c’est-à-dire faire ressortir les lieux de cultes, les espaces verts, les cimetières etc. Depuis que nous sommes installées, personne ne peut vous dire qu’un terrain a été attribué de la bande jusqu’à la mer par le Conseil départemental parce que nous n’avons pas de plan directeur.»
Interview avec
Youssoupha DIOUF,
Inspecteur régional des Eaux et Forêts de Thiès
« Les concessions d’habitat octroyées par l’Urbanisme et le Cadastre font partie des facteurs de dégradation de la zone des Niayes »

Interpellé avec une série de questions sur la gestion de cette bande des filaos et son accaparement par les promoteurs immobiliers, l’Inspecteur régional des Eaux et forêts de Thiès a préféré nous remettre un document intitulé : «Problématique de la conservation durable de la bande de filao entre Dakar et Saint-Louis » ; et qui résume sa vision de la question.
«La loi 2018-25 du 02 novembre 2018 portant Code forestier confère à la Bande de filaos et au Périmètre de restauration des Niayes un statut de forêt classée. Toute occupation du domaine classé doit faire l’objet d’un accord entre le Service des Eaux et Forêts et le requérant et faire l’objet d’une autorisation du Ministre chargé des Eaux et Forêts.
Les activités (occupation, coupe, dépôt d’ordures, exploitation de sable, etc.) sont punies par la loi. Les agents des Eaux et Forêts doivent faire la surveillance et veiller au respect de la réglementation », a expliqué de prime abord l’ingénieur des Eaux et Forêts. Il estime que la forte croissance démographique, la baisse des débarquements, la sédentarisation et l’urbanisation galopante ont participé à accroître la demande en terres. Ce qui, ajoute-t-il, accentue la pression sur le domaine classé. A l’en croire, parmi les facteurs de dégradation de la zone des Niayes, il y a les concessions d’habitat octroyées par l’urbanisme et le cadastre. «Toutes ces opérations sont menées dans un contexte où les terres sont sous la double gestion d’un régime foncier traditionnel et du droit moderne.
Relevant du premier régime, des familles et des individus sont propriétaires de terres qu’ils peuvent vendre légalement avec la validation du chef de village et du conseil rural », indique Youssoupha Diouf. Il fait savoir que sous le droit moderne, en plus du code forestier, qui donne au périmètre de reboisement et de restauration le statut de forêt classée, un décret a été pris pour l’application du Plan Directeur d’Urbanisme (PDU) de Dakar dont la mise en œuvre favorise l’octroi de concessions d’habitation à des structures privées (Namora, COSEPRIM, etc.).
«En résumé, il se passe sur le terrain une application concomitante du code forestier, du droit traditionnel et du PDU de Dakar mais dans un contexte de très mauvaise communication institutionnelle qui explique toutes les infractions commises dans les périmètres de reboisement et de restauration des Niayes. »
Parlant des contraintes dans leur travail, Monsieur Diouf relève une insuffisance du personnel forestier présent sur la bande (nombre de garde forestier) ; une difficulté dans la mobilité des agents (matériel inadapté, insuffisance de ressources pour entretien et réparation, service après-vente inopérant), et une confusion dans l’application des textes juridiques (Code forestier, Code de l’urbanisme, droit coutumier, …) dans la gestion de la bande de filaos.
salif ka
19 août 2021 at 02:05
Bonsoir je me nomme Salif ka habitant de cayar, village de ndiokhop . actuellement la situation devient pire . ENTRE coupe de bois abusif, occupation illégal dans la bande de filao. L’environnement est menacé.