À Ziguinchor, les suppliciés du 17 juin 2022 [1/∞]

Avatar Moussa Ngom | 25 février 2024

Vendredi 17 juin 2022. Jour de manifestation à l’appel de la coalition Yewwi Askan Wi. Le quartier Hlm Néma s’enflamme à un mois des Législatives 2022 pour contester l’invalidation de la liste nationale de candidats d’opposition par le Conseil constitutionnel.

Cet après-midi, Rodrigue Tendeng voit la foule en débandade se diriger vers lui mais l’agent commercial, convaincu de ne rien avoir à craindre, observe. Il prend subitement conscience du danger quand le pick-up des gendarmes fonce délibérément dans sa direction. Sa tentative de fuite tourne court.

« Le gendarme m’a taclé puis je suis tombé de haut dans le caniveau. Il m’a trouvé là-dedans puis m’a noyé dans cette eau sale et me traitait de sale rebelle en me rouant de coup de pieds partout où il pouvait : tête, ventre, thorax, le tout dans cette eau usée. »

Rodrigue est ensuite embarqué. Ou presque. Lorsqu’il trébuche au pied du véhicule, la furie des gendarmes s’abat sur lui. « Toute l’équipe est descendue et c’est par des coups de pieds qu’on m’a fait monter ». Couché sous la banquette du pick-up, l’homme âgé de 38 ans sert de « repose-pied » aux gendarmes selon ses termes et essuie une multitude de paroles dégradantes.

Il décrit un calvaire de plus de quatre heures après son transfert du pick-up vers le fourgon de la gendarmerie. « Je saignais fort de la tête mais ils me défendaient d’essuyer le sang et tapaient toujours au même endroit. Quelques fois, leur supérieur venait faire semblant de s’enquérir de la situation puis jouait le jeu. Dès qu’il descendait la torture continuait de plus en plus ignoble avec tantôt des coups de crosses de leurs armes, des gros bâtons, je pense, préparés pour l’occasion, tantôt des gris-gris pris chez les détenus »

Parmi ces instruments de torture improvisés, un talisman en cuir arraché violemment de la taille d’un certain Cheikh Sourat Youssouph Sagna qui s’est longuement entretenu avec La Maison Des Reporters.

« Cheikh Sourat est celui qui a subi les pires tortures parmi nous, j’étais le troisième à entrer dans le véhicule et je l’ai trouvé entièrement couvert de sang », raconte I. Thiam, arrêté par des gendarmes qui lui tendent un piège croyant qu’il les filme. « Ils m’ont demandé de leur offrir à boire puis alors que je le leur apportais, l’un d’entre eux m’a pris par le poignet ». 

Peu à peu, d’autres personnes, déjà mal en point, les rejoignent au fil des arrestations. « La chaleur était étouffante à l’intérieur, c’était plein mais on nous mettait les uns au-dessus des autres en nous frappant à n’en plus finir », se souvient Sidy Pascal Dhiédhiou, arrêté en même temps que son ami Tamsir.

Tous sont répétitivement passés à tabac, même Georges Mendy, élève en Seconde au lycée Djignabo. Un des gendarmes, cagoulé, marque particulièrement les passagers du véhicule blindé.

« A un moment donné, un de ses collègues a dit : « Kalach, frappe moins fort », c’est là que j’ai retenu son nom »

Georges Mendy

Sidy Diédhiou renchérit : « Quand je l’ai prié de ne pas me frapper à la poitrine car j’avais des problèmes respiratoires, il a dit qu’il ne frapperait [avec un bâton] plus qu’à cet endroit désormais ». 

Vers les coups de 22h, le véhicule des hommes de tenue se dirige enfin vers les locaux de la gendarmerie de Néma. Sur place, les compagnons d’infortune, éreintés par de longues heures de violences, croient en avoir fini mais doivent vite déchanter.  Les gendarmes de la compagnie forment, pour les « accueillir », une haie cynique au pied du camion jusqu’à leur cellule. « Il avaient formé deux files de part et d’autre et jusqu’à l’entrée, on recevait des coups de toutes sortes », expliquent le lycéen et Cheikh Sourat Sagna.

Leur supplice se prolonge dans des conditions exécrables. Les détenus sont entassés dans deux cellules plus qu’exigües où se coltinent les personnes arrêtées mais également d’autres venus de Bignona. Pas d’espace pour se coucher convenablement, Sidy étouffe et s’imagine presque mourir : « Dans la nuit, j’ai commencé à frapper à la porte pour que le garde ouvre car je n’arrivais plus à respirer tellement il y avait peu d’aération ».

Un à un, les interpellés sont extirpés de leur cellule. Tous racontent avoir été contraints à signer leur procès-verbal sans possibilité de contestation. L’un d’entre eux est giflé alors qu’il se plaint de ne pas savoir lire en français « Si tu ne donnais pas la réponse exacte qu’ils voulaient, ils te frappaient avec tout ce qui leur passait sous la main », se souvient Georges Mendy. 

Gardées à vue tout le week-end avant d’être déférées en prison mardi, les victimes des gendarmes sont jugées une semaine plus tard pour « participation à un attroupement non armé » et divers délits. Cheikh Sourat, mal en point, porté jusqu’à la salle, assiste à l’audience et comparaît assis à cause de son état de santé.

Le 28 juin, après douze longs jours de détention, le procureur « dans l’impossibilité d’établir l’imputabilité des faits » requiert l’acquittement de Rodrigue et de 28 de ses coprévenus. Cheikh Sourat, lui, écope d’un mois avec sursis et d’une sanction pécuniaire que l’ancien hôtelier n’arrive pas encore à digérer.« C’est à moi, le torturé, qu’on a infligé une amende [de 50.000 FCFA] alors que mon état après les maltraitances était flagrant […] Ils ont détruit ma vie et m’ont créé des séquelles que je ne mesure toujours pas », réagit-il, encore amer, deux ans plus tard.

Nos tentatives d’interpellation du porte-parole de la Gendarmerie nationale n’ont pour le moment pas abouti. Nous mettrons à jour cet article en fonction des réponses reçues.

Vous êtes témoin ou victime de tortures, vous avez des informations à nous faire parvenir ? Contactez-nous


Commentaires

This post currently has 3 responses.

  1. Anonyme

    25 février 2024 at 23:56

    Nos FDS sont cruels et ignobles. D’après des détenus politiques arrêtés arbitrairement à Bignona, il y a pire que ce que vous relatez dans cet article. Merci Moussa Ngom toi et ton équipe pour cette investigation

  2. Anonyme

    26 février 2024 at 12:39

    Au delà d’être des croyants, où est notre humanité ? Ces hommes de tenues, tôt ou tard le karma les rattrapera. Ils regretteront amèrement. Courage Mr Sagna.

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