Sur les traces des importations de déchets plastiques américains au Sénégal

Avatar Moussa Ngom | 21 juillet 2020

A l’intérieur de l’usine « TWINSWELL »

Le fil de l’enquête…

En février, nous annoncions la continuité des importations de déchets plastiques américains, quelques mois après les révélations contestées du Guardian citant le Sénégal parmi les nouvelles destinations des ordures américaines. Une information formellement démentie par le ministère de l’Environnement sauf que nous avons retrouvé les traces de ces importations de déchets plastiques sur le territoire sénégalais.

“Aucun déchet de quelque nature que ce soit venant de l’extérieur n’arrive au Sénégal. Résolument engagé dans le programme « zéro déchets », notre pays ne saurait accepter de recevoir sur son sol de tels polluants extrêmement dangereux pour notre environnement.”

C’est jusqu’ici la position officielle du ministère de l’Environnement du Sénégal sur le sujet. Un “démenti” formel suite aux révélations du Guardian parues en juillet 2019.
Et pourtant, au total 8 578 tonnes de déchets plastiques américains ont été importées au Sénégal, entre 2019 et 2020, par la société chinoise “Twinswell” sise à Keur Ndiaye Lo. Une importation à l’arrêt du fait de la pandémie Covid-19 mais le stock de déchets américains subsiste toujours en grande quantité dans les entrepôts de l’entreprise où nous nous sommes rendus. Selon Adama Diop, responsable administratif, la majeure partie des déchets plastiques est vendue localement après leur recyclage, pour servir à la fabrication de seaux, chaises et autres accessoires. L’autre partie serait ré-exportée à l’étranger “notamment en Chine”. Une donne qui concorde avec les hypothèses émises dans notre précédent article par l’environnementaliste américaine Jan Dell, présidente de “The Last Beach Cleanup”, organisation très en vue dans la lutte pour l’arrêt des exportations de déchets plastiques des USA.

A gauche les déchets plastiques importés, à droite des sacs de granulés issus de leur recyclage et destinés à la vente sur le marché local ou international.

Le responsable de l’usine ne cache pas leur préférence pour les déchets plastiques importés. En plus d’être de « meilleure qualité », ces déchets « sont plus propres » que ceux tirés de Mbeubeuss, a-t-il assuré. Pour nous en convaincre, il nous montre les piles de déchets entreposées à l’intérieur et au dehors, celles issues de la décharge de Mbeubeuss. Une vingtaine de personnes s’affairent dans la cour autour de débris plastiques noircis en tous genres. L’unique transformation de déchets locaux par l’usine de recyclage est une première amorcée sous la double contrainte de la pandémie (coïncidant avec l’arrêt des importations au Sénégal à cause de la maladie) et de la nouvelle législation en matière plastique.

Ce qui reste des stocks de déchets importés entre 2019 et début 2020

Le discours trouble du ministère de l’environnement
Depuis avril, la nouvelle loi interdit plus clairement toute importation ou exportation de déchets plastiques. Mais jusqu’ici, le flou existait sur leur statut. Le code de l’environnement interdit sans plus de précisions l’importation de “déchets dangereux”. Est-ce le cas de ceux entrant au Sénégal ? Leur contrôle est à priori non effectué officiellement au Sénégal car Baba Dramé, Directeur de l’environnement et des établissements classés (DEEC) nous a indiqué lors de notre enquête qu’aucune information faisant état d’importations de déchets plastiques n’est connue de ses services.
Paradoxal car en marge d’un séminaire organisé par une ONG, une participante interpelle un agent de la DEEC sur les résultats de notre enquête parue 2 jours avant. En somme, il y a bel et bien une importation de déchets plastiques de la part d’une entreprise, l’acte n’étant pas illégal, explique l’agent. Une posture franche mais qui tranche avec le double discours du ministère de l’Environnement où d’ailleurs un responsable de l’entreprise s’est personnellement rendu pour évoquer ses activités d’import-export quelques semaines avant l’entrée en vigueur de la loi sur le plastique.

Une délégation du ministère de l’Environnement, “une douzaine de personnes” était sur place, il y a quelques jours, nous indique aussi notre guide au sein de l’usine Twinswell qui espère pour bientôt une autre visite du ministre de l’Environnement. Une “autre” car, en décembre 2019, le ministre Abdou Karim Sall a en personne visité les lieux d’après lui.
Les exportations de déchets américains dans les pays du Monde ont connu une recrudescence après la fermeture du marché chinois, principal importateur, “aux déchets étrangers” pour protéger ses “intérêts environnementaux” et la santé de sa population. Les exportateurs ont par la suite redirigés leurs containers de déchets plastiques dans d’autres pays usant souvent de subterfuges pour dissimuler leur nature. Plusieurs acteurs de la filière, notamment Chinois, se sont aussi redéployés dans d’autres pays aux législations moins strictes pour y mener leurs activités. La société “Twinswell” a elle été créée au Sénégal en 2018 soit la même année de l’interdiction des importations en Chine.
Cette décision avait provoqué un effondrement du business du recyclage des ordures plastiques et un grand bouleversement aux États-Unis, plus grand exportateur au Monde dont moins de 10% seulement des déchets plastiques sont annuellement recyclés dans le pays.

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Commentaires

This post currently has 2 responses.

  1. Le poupon

    22 juillet 2020 at 05:29

    La nature au Sénégal est à l agonie! nous ne voyons sur le littoral des immondices de tout genre! Se gouvernement ne se préoccupe en rien de la préservation de la nature nous le voyons au quotidien dans le bétonnage du littoral de l absence d’espace vert ! Nous ne voyons pratiquement plus d arbre !! Un si beau pays autant maltraité ! Un véritable suicide collectif !!

  2. Gilles Butin

    27 juillet 2020 at 03:07

    Et ils arrivent où, ces déchets, sur quels bateaux, dans quels ports, pas de photos, pas de vidéos, les douanes sont elles au courant?

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