Sénégal: 7 800 tonnes de déchets plastiques importées en 2019

Avatar Moussa Ngom | 14 février 2020

Des conteneurs remplis de déchets plastiques sont vus avant d’être renvoyés dans leur pays d’origine à Port Klang, en Malaisie. Photo: Agence Anadolu / Getty Images/ Guardian



Au total, 7 809 tonnes de déchets plastiques ont été illégalement importées au Sénégal en provenance des Etats-Unis entre janvier et décembre 2019 pour une valeur de 1,9 milliards FCFA. Les importations sont vraisemblablement toujours en cours puisque les dernières données émises par l’Us Census Bureau (Département du commerce américain) remontent au mois de décembre.

L’info n’a pas eu un grand écho au Sénégal. En juin 2019, le quotidien Guardian dévoile son enquête sur le circuit des déchets plastiques américains. L’article évoque le Sénégal comme une des nouvelles destinations. 
Très vite, le Ministère de l’environnement réagit à ce qu’il qualifie de “fausse information” via sa page Facebook.

Un épisode vite clos à l’époque. Or, la large enquête du média britannique révèle des exportations vers le Sénégal de 1 000 tonnes de déchets plastiques par mois entre janvier et mars 2019. En Mai, les chiffres que nous avions consultés étaient de 6 081 tonnes soit 36% des importations de matières plastiques venant des USA durant cette période.

Hasard ou conséquence ? Les importations de déchets plastiques au Sénégal en provenance des Etats-Unis ont cessé durant ce même mois où le secteur a connu un événement majeur. 
Le 10 mai, 187 pays dont le Sénégal (à l’absence notable des États-Unis) concluent un accord qui renforce leur droit d’être informés de la qualité des déchets plastiques importés sur leur territoire. Les Etats ont ainsi le pouvoir de les refuser s’ils se révèlent nuisibles à leur environnement ou non recyclables. 

Une bonne nouvelle appréciait Jan Dell, ingénieure et présidente de “The Last Beach Cleanup” à propos de l’arrêt subit des expéditions de déchets plastiques vers le Sénégal. L’activiste dirige une des 3 organisations américaines qui ont exigé que les entreprises américaines cessent leurs exportations vers des pays aux systèmes de recyclage presque inexistants comme celui du Sénégal. Deux des principales sociétés de gestion des ordures américaines ont répondu favorablement à leur appel au cours de l’année dernière. 
Les exportations de déchets plastiques vers le Sénégal ont par contre repris au mois de Septembre.
Elles sont probablement toujours en cours. Les dernières données publiées par l’US Census Bureau datent du mois de décembre où 547 tonnes de déchets plastiques ont été importées contre 310 tonnes en novembre.



Une économie bouleversée par la Chine

Tout commence lorsque la Chine met en exécution une décision qui surprend les industriels du plastique. Le principal importateur au monde corse sa politique de répression des « déchets étrangers » pour protéger ses “intérêts environnementaux” et la santé de sa population.
Les déchets ne doivent plus dépasser la barre des 0,5% de contamination par des matériaux non recyclables alors que les déchets américains peuvent être contaminés jusqu’à 25%. Le business du recyclage des ordures plastiques s’effondre

De quoi  provoquer un grand bouleversement aux ÉtatsUnis plus grand exportateur au Monde. Ses exportations vers la Chine connaissent une réduction extrême alors que moins de 10% seulement des déchets plastiques sont annuellement recyclés dans le pays. Les structures de gestion des ordures sont rapidement dépassées par la quantité de déchets qui ne trouve plus preneur. 
Pris de court, les acteurs se réorientent vers d’autres destinations. En parallèle, un vrai marché noir se déploie dans le monde du commerce des déchets plastiques.

Malgré leur interdiction, les autorités chinoises ont intercepté plus de 100 000 tonnes de déchets plastiques de contrebande au cours du premier trimestre 2018. En décembre 2019, 763 000 tonnes de déchets, dont du plastique, illégalement importées sont interceptées. Des centaines de réseaux de contrebande sont aussi démantelés d’après l’agence de presse chinoise Xinhua.

La donne est désormais de dissimuler la nature réelle des importations.
Selon le journal Resource Recycling qui cite aussi un membre du gouvernement malaisien, «certains exportateurs aux États-Unis” et les importateurs dans les pays de destination, «auraient faussement identifié les déchets de plastique comme un autre produit dans les documents d’expédition ».

Une « pratique courante » et bien rodée pour éviter le contrôle et les inspections aux ports de destination.
En France, une société de trading a illégalement convoyé vingt conteneurs de déchets plastiques. Finalement retournés vers leur pays d’origine par la Malaisie, l’entreprise qui agissait en toute clandestinité a été condamnée à 126 millions de FCFA d’amende administrative par le ministère de la Transition écologique en Novembre 2019. Une première en guise d’avertissement aux acteurs illégaux du commerce de déchets.
Du côté des autorités sénégalaises, Baba Dramé, Directeur de l’environnement et des établissements classés (DEEC) nous a indiqué qu’aucune information faisant état d’importations de déchets plastiques n’est connue de ses services. 

Mais où partent ces déchets plastiques une fois au Sénégal?

Pour Jan Dell, il est plausible que l’entreprise destinataire de ces importations au Sénégal récupère les déchets plastiques “très bon marché” et les transforme à des fins qui ne nécessitent pas de “nouveau plastique de très haute qualité”.
Une bonne aubaine car selon elle, son propriétaire devrait s’acquitter de “frais d’élimination” élevés allant jusqu’à “140 $ / tonne” si les déchets étaient conservés aux États-Unis. Il peut donc “être moins cher” pour l’entreprise américaine de vendre les déchets plastiques “à très bas prix” voire de payer pour l’expédition des conteneurs de déchets plastiques selon l’environnementaliste. Le recyclage dans les pays de transit avant re-exportation à l’étranger notamment en Chine reste une piste sérieuse.

Après avoir écarté les très polluants déchets plastiques américains, la Chine n’a pas pour autant fermé son marché au plastique recyclable ou transformé de qualité. La demande y reste également forte. De nombreuses sociétés clandestines nées ces dernières années dans des pays d’Asie fonctionnent d’ailleurs sous le modèle d’intermédiaires alimenté par des “courtiers du recyclage”.
Les déchets plastiques une fois transformés peuvent rapporter à leurs recycleurs 9 fois plus que leur prix d’achat mais très souvent au détriment de l’environnement des pays servant de points de chute.
Clé de notre enquête sur le nom des propriétaires des cargaisons de déchets plastiques arrivés au Sénégal, le Port autonome de Dakar (PAD) ne nous a jusqu’ici pas ouvert ses portes. Ce, malgré nos multiples relances pour avoir une autorisation de consulter les bases de données d’importation du PAD en provenance des Etats Unis durant l’année 2019.

Au nom de la confidentialité des données, l’Us Census Bureau tout comme le Bureau américain du commerce international ainsi que les ports contactés d’où sont partis des containers de déchets plastiques ont également refusé de nous dévoiler ce “niveau de détail” quant à l’identité des compagnies exportatrices et de leur(s) destinataire(s) au Sénégal.

Dernier développement, la nouvelle loi sénégalaise sur le plastique censée être appliquée à partir d’avril 2020 interdit toute importation de déchets plastiques au Sénégal.

Lisez la suite de cette enquête ici.

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Commentaires

This post currently has 4 responses.

  1. Daouda diop

    16 février 2020 at 12:19

    C’est trop grave et ça continue depuis. Le processeur a été déclenché dans la première moitié des années 70 et les noms de Abdou Fiouf et Mansour Bouna circulaient à propos d’entendre pour l’enfouissement au Senegal de déchets nucléaires et autres polluants non biodégradables.

    Les informations avaient été timidement niées voire même confirmées surtout dans les années 72 73 74 et 75.

    Peut-être que pour plus d’informations et non.de souvenirs vagues, il serait intéressant de revoir les publications de Jeune Afrique, l’express, le Canard Enchaine et l’express de l’époque et peut-être aussi le Monde Diplomatique et Sciences et vie.

    Les informations parlaient de milliers de tonnes et la zone de Nioro, si mes souvenirs sont bons etait souvent évoquée comme lieux d’enfouissement. Mais vraiment, c’est lointain et vague et il faut convoquer la fin des années 60 et le début des années 70 pour avoir des données fiables et irréfutables. Mais ce qui demeure c’est que le Senegal est un pays d’enfouissement de déchets non biodégradables et nocives à la santé de nos populations dont certains s’enrichissent. En ce temps j’étais encore très jeune bien qu’avais pleinement par mon milieu de vie, surtout ma maison qui était un carrefour, point de jonctions diverses.

    Daoyda Joob
    00231776945584
    Dakar/Senegal

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