Une déclaration de l’ancien ministre de la jeunesse du Sénégal Pape Malick Ndour vérifiée.

Avatar Mamadou Ramata Diallo | 20 juin 2025

L’ancien ministre sénégalais de la jeunesse Pape Malick Ndour, membre du secrétariat exécutif du parti politique l’Alliance pour la République ( APR) fondé en 2008 par l’ancien président Macky Sall, indique que « sur les fonds à hauteur de 196 milliards levés par l’Etat du Sénégal lors du marché des titres de l’UEMOA, 118 milliards proviennent des Ivoiriens soit 60% du montant total et 2 milliards proviennent des Maliens ».

Qu’a dit Pape Malick Ndour ?

Le 28 mai dernier, un « contre-dialogue » a réuni une partie de l’opposition sénégalaise en protestation du dialogue national organisé par le Chef de l’Etat et le gouvernement du Sénégal. Les débats de ce contre-dialogue ont abordé plusieurs sujets, notamment la « restriction des libertés publiques, la justice instrumentalisée, les arrestations arbitraires d’opposants, ou encore la loi d’amnistie ». Plusieurs autres sujets ont été abordés. Parmi lesquels, la question des 196 milliards de fonds levés lors du marché des titres de l’UEMOA évoqué par Pape Malick Ndour, membre de l’APR et ancien ministre de la jeunesse du Sénégal.

M. Ndour a ainsi déclaré : «  je le dis publiquement, 118 des 196 milliards ont été prêtés par des Ivoiriens soit 60% du montant ». Il ajoute également que « 2 milliards proviennent des Maliens ». Il s’est même à nouveau exprimé, le 2 juin dernier lors d’une émission télévisée sur la SEN TV. Il y réaffirme ses propos entre la 24e et la 25e minute. « Lorsque les autorités se sont approchées du marché de l’UEMOA, elles ont estimé leur besoin à 160 milliards. Mais avant de demander de l’aide étrangère, il faut impliquer sa population.  Si nous constatons que la Côte d’Ivoire a participé à hauteur de 118 milliards, nous avons le droit de nous poser des questions. Nous avons besoin de savoir si ce sont des banques ou des particuliers ivoiriens. Si oui, nous aurons aussi besoin de savoir pourquoi les banques et particuliers sénégalais n’ont pas été impliqués ».

Quelle est la source de Pape Malick Ndour ?

Contacté via le réseau social WhatsApp, pour connaître la source de ses affirmations,  l’ancien ministre de la jeunesse et membre du secrétariat exécutif du parti politique l’Alliance pour la République ( APR) nous a confirmé ses propos. Mais, il dit  ne pas se prononcer sur ses sources.

Les fonds de 196 milliards levés par l’Etat du Sénégal ont-ils été prêtés par les Ivoiriens et les Maliens ?

Pour vérifier cette déclaration , nous nous sommes d’abord documentés en ligne. Nous sommes tombés  sur cet article du magazine Le Marché spécialisé dans l’économie et les finances. L’article explique comment le Sénégal a encaissé 196 milliards sur le marché des titres publics.  Les informations fournies nous renseignent que ce ne sont pas des ivoiriens qui ont prêté de l’argent à l’Etat du Sénégal, mais des investisseurs comme  les banques, les assureurs  et les fonds de pensions entre autres. Ces institutions peuvent être de  différentes nationalités. 

Pour comprendre le fonctionnement du marché UMOA -Titres, nous avons contacté Amath Ndiaye professeur à la Faculté des Sciences Economiques et Gestion à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il nous a envoyé le lien d’une de ses publications  qu’il avait faite  sur le réseau social LinkedIn le 17 juin 2025 sur le marché UEMOA -Titres. Il y explique ceci: «  Dans le cadre du marché UEMOA-Titres, ce sont les banques commerciales de tous les pays membres de l’Union qui prêtent aux États, sans distinction de nationalité. Ainsi, les banques sénégalaises peuvent prêter aussi bien à l’État du Sénégal qu’à celui de la Côte d’Ivoire, du Mali ou du Bénin, et réciproquement. Ce fonctionnement montre que le marché est intégré, mutualisé et fondé sur des critères économiques, et non politiques ».

Dans la logique de bien expliquer le fonctionnement du marché, M. Ndiaye donne un exemple concret illustrant la nature mutualisée et intégrée du marché UEMOA‑Titres, ainsi qu’un cas précis pour l’État ivoirien :
« Exemple : Émission de l’État ivoirien – 14 mai 2024
Montant levé : 50,78 milliards FCA (~77,3 M €)
Taux de couverture : 101,57 % (toutes les souscriptions ont été retenues à 100 %)
Répartition des souscripteurs : Banques ivoiriennes : 73,06 % des souscriptions (~37,1 milliards FCFA)
Le reste (26 %) : banques et investisseurs d’autres pays de l’UEMOA (Sénégal, Mali, Bénin, etc.).
Ce que cela démontre : Les banques ivoiriennes ont prêté en priorité à leur propre État, mais Les autres banques de la zone (Sénégalaises, béninoises, etc.) ont massivement participé, montrant que les financements circulent librement entre États, sans barrières nationales. 

En résumé, selon l’expert, le marché UMOA -Titres est un système de financement intégré, fondé sur la coopération entre banques et États membres. Chaque État, y compris la Côte d’Ivoire, peut se financer grâce à la confiance portée par les acteurs régionaux. Aucune discrimination : banques nationales et étrangères prêtent aux mêmes conditions et aux mêmes États. »

Par conséquent,  selon les explications données par Ahmat Ndiaye, les ivoiriens et les maliens  n’ont pas prêté de l’argent à l’Etat du Sénégal lors de la levée de fonds sur le marché de l’UEMOA-Titres.

Notre tentative d’avoir le Ministère des Finances et du Budget du Sénégal étant restée vaine, nous avons exploité son communiqué publié dans le quotidien national le Soleil et sur son réseau social X qui démenti la déclaration de Pape Malick Ndour. Le document indique que “les titres publics émis par le Sénégal peuvent être souscrits par tout État membre de l’UEMOA dans un marché intégré et commun. Ce mécanisme n’implique aucun transfert bilatéral de fonds entre États, mais relève d’une logique régionale de financement. Ainsi, parler de financement du Sénégal par la Côte d’Ivoire est une interprétation erronée du fonctionnement du marché régional des titres publics”.  

En guise de complémentarité,  nous avons visité le site de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest ( BCEAO) pour voir son rapport sur les émissions de titres publics dans l’UEMOA.  Mais  le rapport de la BCEAO sur les émissions de titres publics dans l’UEMOA en 2025 n’est pas encore disponible. Cependant, la BCEAO nous a indiqué que l’on peut s’attendre à ce qu’il soit publié dans le cadre des publications régulières de la BCEAO, telles que le Rapport sur la Politique monétaire dans l’UMOA, qui contient des informations sur les activités de marché, y compris les émissions de titres. De plus, UMOA-Titres organise des événements où le programme des émissions de titres publics pour l’année est présenté, ce qui pourrait donner un aperçu des émissions prévues pour 2025. 

“L’État ne contracte pas de dettes individuellement fournies par un autre pays” 

 Nous avons par ailleurs joint au téléphone Babacar Gaye Economiste- Statisticien- Chercheur au laboratoire d’économie publique à la ( Faculté des Sciences Economiques et Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar FASEG-UCAD) qui nous a éclairé davantage.  

 ‘’Tout d’abord il faut savoir qu’un tel niveau de souscription transfrontalière est cohérent avec les principes de mutualisation de l’épargne régionale voulue par l’UEMOA. Toutefois, 60 % provenant d’un seul pays constitue une asymétrie de financement inhabituelle”. 

En finance publique, note-t-il, tout endettement de l’État est encadré par la loi de finances et les textes communautaires (Directive UEMOA sur la dette publique, Règlement n°09/2010/CM/UEMOA). Ce qui veut dire, selon lui, que l’État ne contracte pas de dettes individuelles, encore moins avec des personnes physiques étrangères, hors cadre d’accords diplomatiques ou instruments du Trésor.

Gaye ajoute qu’ “entre 2024 et 2025, le Sénégal a activement mobilisé des ressources sur les marchés financiers régionaux (UEMOA) et internationaux pour financer ses besoins budgétaires et soutenir sa trajectoire de développement.

Sur le marché régional (UEMOA) : En 2024, le Sénégal a levé environ 1 000 milliards FCFA, représentant près de 12,3 % des émissions totales de la région”.

Début 2025 (janvier), poursuit Gaye, une émission mixte (bons + obligations) a permis de collecter 43,5 milliards FCFA, avec un taux de couverture élevé de 190 %, signe d’une forte demande. Les Souscripteurs étaient composées de  banques commerciales, de compagnies d’assurance, de caisses de retraite et de détenteurs privés de capitaux excédentaires dans la région. Sur le marché international, le Sénégal a aussi engrangé des eurobonds à hauteur de plusieurs centaines de millions de USD.

En somme, l’expert recommande de retenir que le Sénégal a levé avec succès plus de 1 300 milliards FCFA en 2024–2025 sur les marchés financiers, principalement via  des Adjudications régionales (UMOA-Titres) et des  Eurobonds structurés avec des banques internationales (notamment JP Morgan).

Babacar Gaye indique que cette dynamique reflète une stratégie assumée de mobilisation élargie de l’épargne régionale et internationale, dans un cadre encadré par la loi de finances et les directives communautaires de l’UEMOA.

Toujours M.Gaye, ‘’un emprunt massif auprès de ressortissants étrangers dans un cadre formel est juridiquement possible, et économiquement rationnel s’il participe à la diversification du portefeuille de la dette.Toutefois, une telle concentration géographique (118 milliards ivoiriens et 2 milliards maliens) pose une question de gouvernance de la dette et d’exposition au risque régional.

En concluant que l’affirmation selon laquelle la levée de fonds du Sénégal aurait été financée par la Côte d’Ivoire et le Mali est fausse, babacar Gaye explique que “toute politique de financement souverain doit intégrer des critères de transparence, de soutenabilité intertemporelle, et de résilience au stress financier, surtout dans un contexte de volatilité des flux régionaux.’’

Dr Souleymane Keita, économiste et enseignant à la Faculté des Sciences Economiques et Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop, abonde dans le même sens que Babacar Gaye, et a indiqué à son tour que la déclaration rapportant un prétendu financement de la levée de fonds du Sénégal par la Côte d’Ivoire et le Mali est infondée. 

Comprendre les mécanismes par lesquels les Etats participent à la levée de fonds sur le marché UMOA-Titres

Nous avons également cherché à savoir comment les Etats participent à la levée des fonds sur le marché de l’UMOA-Titres. Pour comprendre la spécificité du marché, nous avons consulté  le rapport statistiques du marché des titres public du premier trimestre 2025 de l’UMOA -TITRES  Le rapport indique que le Sénégal détient plus de 17% des titres de la Côte d’Ivoire et 14,44% des titres maliens. Quant à la Côte d’Ivoire, elle maintient son poids de plus de 19,95% dans les titres du Sénégal. Entre le premier trimestre de 2024 et le premier trimestre 2025, le Sénégal a beaucoup évolué sur le marché des titres public, il a quitté 38,96% en 2024 et a atteint 56,92% de parts en 2025. Cela illustre, selon ce rapport, la confiance que nos banques au Sénégal accordent aux titres publics de l’État.

Conclusion : 

Dans un contre dialogue organisé le 28 mais 2025, l’ancien ministre de la Jeunesse du Sénégal Pape Malick Ndour a déclaré que sur les 196 milliards levés par le Sénégal sur le marché UMOA-Titre, 118 milliards ont été prêtés par des Ivoiriens, ce qui représenterait selon lui 60 % du montant engrangé par le Sénégal. Il a aussi affirmé que « 2 milliards proviennent des Maliens ». Mais, les données collectées sur le rapport statistiques du marché des titres public du premier trimestre 2025 de l’UMOA -TITRES contredisent les propos de l’ancien ministre. De plus, les experts en économie consultés ont unanimement expliqué que l’État du Sénégal, ainsi que les pays en général, ne contractent pas de dettes individuellement fournies par un autre pays. 

En considération de ces facteurs, la déclaration de Pape Malick Ndour rapportant que les fonds levés par le Sénégal ont été prêtés par la Côte d’Ivoire et le Mali est incorrecte. 


Commentaires

This post currently has one response.

  1. Anonyme

    23 août 2025 at 18:11

    En tant que jeune chercheur, j’apprécie beaucoup votre démarche qui est manifestement scientifique.
    Bonne continuation

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