Cohabitation entre éleveurs et paysans: les germes de l’embrasement

Avatar Abba Ba | 30 janvier 2021

Si dans la zone sylvo-pastorale, la cohabitation entre éleveurs et paysans reste encore harmonieuse et apaisée, dans le bassin arachidier, elle ne cesse de se détériorer, engendrant de rudes batailles entre les tenants de ces deux activités.

La soixantaine bien entamée, taille svelte, drapée dans une tunique de wax multicolore, Mère Diouma Diouf sort prestement d'entre les hautes tiges de ce vaste champ de mil accompagné de son chien. Aux aguets, l’animal observe nonchalamment le passage de ce troupeau de bœufs, chèvres et moutons en bordure du périmètre agricole.

L’air toute épuisée, un pan du boubou ceint autour des reins, mère Diouf veille au grain avant que le cortège ne se bouscule en direction du champ. D’un signe de la main droite, elle envoie son chien à leur poursuite pour les chasser loin du champ, situé à une cinquantaine de mètres de la Route nationale. Pendant ce temps, le troupeau de bœufs, imperturbable, piétine les herbes et disperse les flaques d'eau laissées par les dernières pluies.

Les taureaux affichent un poil luisant et des cuisses généreuses, signe d’une bonne tenue alimentaire.
On est à 5km de Dealy, (village situé à 30 km de Touba) sur la RN3, axe Touba-Dahra Djolof. De loin, au bout d'une petite allée traversant ce champ de mil, on aperçoit des cases rondes. C’est le village de Woyelel, nous souffle notre guide. Carrefour entre la zone sylvo-pastorale (le Ferlo) et le bassin arachidier, Woyelel est essentiellement peuplé de paysans sérères et est entouré de quelques hameaux d’éleveurs peuls.

En cette période de la journée, la température est clémente sur les lieux. Verdoyant, le paysage offre un joli décor, signe d’un hivernage pluvieux. Des épis jaunâtres se dressent dans ces vastes champs de mil qui s’étendent à perte de vue, au point d’engloutir le village. Un petit sentier sépare les plantations de la RN3. C’est le couloir du bétail, c’est-à-dire, la petite voie qu’empruntent les transhumants et les convoyeurs de bétail venant du Ferlo à destination de Touba. Même si l’ampleur reste maîtrisée, de légères tensions existent entre éleveurs et paysans.

Les premiers accusent les seconds d’empiéter sur les terres pastorales afin d'étendre leurs plantations, tandis que les derniers nommés dénoncent la divagation des animaux qui vandalisent les récoltes. ‘’Tout le monde sait que les champs sont immobiles. Ce sont les animaux qui se déplacent. C’est donc aux éleveurs de surveiller leurs bêtes’’, tranche mère Coumba Diouf, avec un brin de colère.

Il y a dans cette zone des champs en jachère. Des champs sans clôture ; sans borne. Et, on est dans une unité pastorale c’est-à-dire une zone à priorité élevage. Ici, les éleveurs ne sont pas tenus d’attacher les bêtes car elles sont tellement nombreuses que l’on ne peut pas les attacher. Il faut une démarcation nette avec des balises bien visibles pour distinguer les terres où il faut cultiver de celles réservées au pastoralisme’’, réplique fermement Dadi Ka, gérant de l’unité pastorale de Dealy dont fait partie le village de Woyelel.

Difficile cohabitation

Mêmes témoignages chez certains paysans qui se montrent toutefois compréhensifs. ‘’Nous sommes dans une zone de transit pour les transhumants et les convoyeurs de bétails en partance pour le marché de Touba. Etant donné que le cheptel a considérablement augmenté ces dernières années, les bêtes passent souvent à l’intérieur des champs car le couloir est devenu très étroit.

La solution serait donc d’aménager une vaste balise barbelée, allant de Dealy à Touba, pour protéger les champs et le foncier pastoral. Cela va non seulement réduire la divagation des animaux dans les champs mais aussi freiner l’avancée de la surface agricole dans le foncier pastoral. Ici, les paysans arrivent à supporter les éleveurs parce que c’est la zone sylvo-pastorale. L’élevage y est donc prioritaire. Le paysan est tenu d’être compréhensif voire tolérant face à certaines choses’’, explique Pape Séne, chauffeur et paysan à temps partiel.

Pour lui, contrairement à l’idée selon laquelle le foncier pastoral diminue au profit de l’agriculture, il note plutôt une pression pastorale sur cette partie du bassin arachidier. ‘’Chaque année, on réduit les surfaces cultivables au profit du couloir du bétail. Il y a quelques années, on cultivait jusqu’au bord de la route mais maintenant on est à plus de 800m de la route juste pour éviter les conflits avec les éleveurs. Mieux, à la fin des récoltes, on autorise les éleveurs à faire paître leurs bêtes dans les champs pour profiter des restes de récoltes. C’est pourquoi, on n’a jamais noté de violence entre éleveurs et paysans dans ce village, pourtant carrefour entre les deux activités’’, ajoute-t-il, en indexant la délimitation du champ qui, selon lui, se rétrécit chaque saison.

En outre, si dans cette partie du pays, les agriculteurs mettent en avant la compréhension pour apaiser leur cohabitation avec leurs voisins éleveurs, dans d’autres régions comme Kaffrine, Kaolack, Diourbel et Fatick, considérées comme le cœur du bassin arachidier, la bataille du foncier est féroce. Aggravée par l’explosion agricole et l’augmentation du cheptel, la compétition pour l’accès à la terre et aux ressources est source de tensions émaillées de violences.

Non loin du village de Dealy, sur l’autre axe de la RN3 vers Dahra Djolof, Amadou Sow et son jeune frère ont aménagé en pleine brousse un campement de fortune. Les deux frères ont quitté le village de Kothiary dans la région de Tambacounda pour s’installer dans la zone sylvo-pastorale plus paisible en cette période d’hivernage.

Dès le démarrage de la saison des pluies au mois de juillet, ces éleveurs quittent leur village dès le début du labour des champs pour transhumer dans le Ferlo en quête de nouveaux pâturages et surtout de tranquillité. Ici, ils sont dans une zone à priorité élevage donc plus apaisée en termes de conflits entre éleveurs et paysans. Toutefois, avant d’atterrir à ce campement de Lavel Dolly, Amadou et son jeune frère ont bien fait du chemin.

Des aires de pâture réduites, un couloir du bétail devenu très étroit, l’absence de balises et la pression agricole sur le foncier pastoral ont fait de leur périple, un vrai parcours du combattant.

Amadou Sow, éleveur en transhumance

« Les couloirs du bétail ne cessent de rétrécir à cause de la pression agricole, surtout dans la zone de Kaolack. »

Les routes sont devenues étroites et entourées de champs. C’est aussi difficile d’accéder aux mares pour abreuver les bêtes car les champs ont fini par entourer ces points d'eau. Sur l’axe Tambacounda-Kaolack par exemple, il faut contourner des champs et parfois marcher 15 ou 20 jours sans pouvoir accéder à une mare. Face à cette situation, on est obligé de se rabattre sur les forages des villages et l’eau y coûte trop cher. Pire, parfois les villageois nous refusent tout simplement l’accès’’, fait savoir Amadou Sow.

La réduction du couloir du bétail a rendu difficile
le convoyage des animaux

Comme cet éleveur, de nombreux bergers et autres convoyeurs de bétail s’estiment lésés dans la politique de répartition des terres du Domaine national entre les secteurs d’activité. En ce lundi, jour de louma (marché hebdomadaire) de Dealy, les convoyeurs de bœufs en provenance de Dahra Djolof pour Touba et autres grandes villes du pays font leur escale dans la commune.
A hauteur du village de Lavel Dolly, situé à 2 kilomètres du lieu de vente, deux bergers guident un cortège composé de milliers de têtes de bœufs, sous une chaleur assommante. Un homme en tunique vert menthe assortie de mocassins noirs, turban de la même couleur bien enroulé, déambule au milieu du troupeau. Il serre un bâton par le creux du coude et d'une démarche lente tourne toute son attention sur ce troupeau de taureaux aux cornes imposantes qui se menacent au combat. Il se nomme Dahi Sadhibou Ka et est convoyeur de bestiaux pour de grands marchands. Il exerce ce métier depuis une dizaine d'années.
Comme beaucoup d’éleveurs, il pense que le pastoralisme n’a pas été assez considéré dans la répartition du foncier national.
«Nous rencontrons énormément de problèmes au cours du convoyage. Le foncier pastoral ne cesse d’être violé. A titre illustratif, un couloir du bétail qui mesurait 40 mètres il y a deux ans, mesure aujourd’hui 20 mètres. Or, le cheptel a augmenté dans la même période.

« On convoie à pieds jusqu’à plus de mille bœufs entre Dahra et Touba pour ravitailler le marché et c’est quasi impossible de faire le trajet sans entrer dans des champs. »

Le couloir destiné au convoyage du bétail, entre le Ferlo et le Baol, mesure aujourd’hui moins de 20m et on ne peut pas dévier à cause des champs. Le convoi est donc obligé de passer à l’intérieur des plantations. Les balises ne sont plus respectées par les agriculteurs. Pire, chaque année, les paysans avancent et empiètent sur le foncier pastoral pour étendre leurs plantations. Et c’est toute l’origine du problème entre pasteurs et agriculteurs », argue-t-il, du ton certain de l’expérience.


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